Wafa Abdel Rahman : Donner une voix à celles qui racontent le Proche-Orient
- Orbital
- 27 juin
- 4 min de lecture

Directrice de Filastiniyat, ONG palestinienne partenaire du CCFD-Terre Solidaire qui soutient les jeunes et les femmes journalistes en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza, Wafa Abdel Rahman s’est confiée sur son combat pour donner une voix à celles qui racontent, au quotidien et souvent au péril de leur vie, la réalité du Proche-Orient d’aujourd’hui.
Qu’est-ce qui vous a inspirée à créer Filastiniyat en 2005 ?
J’ai travaillé pour MIFTAH, une organisation fondée par Hanan Ashrawi, une figure politique palestinienne de premier plan. C’est là que j’ai pris conscience de l’importance des médias dans la lutte contre l’occupation et la corruption, et surtout du rôle qu’ils jouent pour façonner l’opinion publique.
En 2005, avant l’essor des réseaux sociaux, les médias traditionnels avaient une énorme influence, notamment sur les jeunes femmes. J’ai alors décidé qu’il était temps de créer une organisation féministe avec une vision propre, sans interférence extérieure.
Quel a été votre parcours auparavant ?
Je suis née à Gaza, dans une famille qui soutenait fortement l’éducation des filles. Mon père, photographe, croyait en notre potentiel. Après avoir étudié à l’université de Birzeit, en Cisjordanie, j’ai travaillé pendant quelques années à Gaza, un lieu vivant et joyeux malgré les immenses difficultés du quotidien.
Plus tard, j’ai étudié aux Pays-Bas, où j’ai pris conscience de l’existence d’autres luttes menées par des peuples de tous les continents pour la justice sociale. Cela a enrichi ma vision de la solidarité internationale, et m’a motivée à créer Filastiniyat.
quelle est la situation des femmes journalistes, à Gaza ?
Elles font face à des défis immenses. Ces journalistes de terrain jonglent entre des responsabilités familiales et professionnelles et subissent des conditions de travail extrêmes. Elles sont des héroïnes dans le sens où elles accomplissent des actes extraordinaires juste pour survivre.
Actuellement, nous avons une équipe de 50 femmes journalistes indépendantes qui travaillent dans la bande de Gaza. Elles couvrent l’actualité, souvent au péril de leur vie.
Quelles actions avez-vous récemment mises en place ?
Lorsque la guerre a éclaté, nous avons eu l’idée d’organiser un système de couverture médiatique via l’enregistrement de messages audio. Les journalistes ont pu partager leurs témoignages sans être identifiées, pour protéger leur sécurité.
Nous avons également adapté nos actions grâce au soutien du CCFD-Terre Solidaire. Nous avions obtenu une aide financière pour organiser notre conférence annuelle et mettre en œuvre notre plan stratégique. Lorsque la guerre a éclaté, cette somme a immédiatement été réorientée pour répondre à des besoins urgents. C’est grâce à cela que nous avons pu fournir des kits d’hygiène, des vêtements chauds, et surtout des tentes pour nos journalistes, car beaucoup d’entre elles avaient perdu leur logement.
À quoi servent les tentes que vous avez installées ?
Ce sont des espaces de travail et de repos pour nos journalistes. Nous avons pu aménager ces lieux pour qu’elles puissent dormir, travailler, et avoir accès à des services essentiels comme l’électricité et Internet. Cependant, à chaque nouvelle invasion, nous étions contraints de déménager. Aujourd’hui, nous avons trouvé un entrepôt que nous avons aménagé en espace sécurisé pour nos journalistes.
Quel est le rôle des femmes journalistes en Palestine, et pourquoi faut-il les soutenir spécifiquement ?
Les journalistes de Gaza sont des défenseuses des droits humains. Non seulement elles documentent les crimes de guerre, mais elles jouent aussi un rôle clé dans la communication avec la communauté.
Les femmes ont une approche différente des hommes dans leurs reportages… Elles sont à l’écoute, attentives aux détails, et ont une capacité unique à se connecter avec les gens. C’est pour cette raison que nous soutenons particulièrement les femmes journalistes : elles portent une voix différente, absolument essentielle !
Dans toutes les sociétés, ce sont les plus opprimées, et elles sont donc en mesure de comprendre ce besoin urgent de changement. Elles savent qu’un autre discours est possible, un discours qui vient des marges, des groupes souvent ignorés par les systèmes en place… Elles ont une perspective unique et nécessaire pour comprendre la souffrance des plus démunis.
Cette guerre a un impact profond sur la santé mentale des journalistes, particulièrement les femmes. Comment les soutenir au mieux dans cette situation de crise, quand la priorité reste de sauver des vies ?
Oui, cette guerre affecte profondément la santé mentale des Palestiniens, et en particulier celle des femmes. Elles subissent une pression immense, doublement accablée par la violence et la guerre, mais aussi par la responsabilité de maintenir un semblant de normalité dans une situation catastrophique.
Le soutien en santé mentale, bien qu’indispensable, ne peut pas être une simple application de modèles de programmes passés. Chaque guerre, chaque situation est unique. Ce qu’elles demandent, avant tout, c’est d’être écoutées, de pouvoir exprimer leur souffrance. Parfois, il n’y a pas de solutions immédiates. Mais nous avons le devoir de créer un espace pour recueillir cette parole.
Quelles sont vos priorités et vos aspirations pour l’avenir de Filastiniyat ?
Il est urgent de renforcer notre impact localement et d’internationaliser davantage nos actions. Nous devons permettre aux Palestiniens, surtout aux femmes, de faire entendre leur histoire au monde. J’espère que Filastiniyat continuera à grandir et à soutenir les journalistes, tout en diffusant un discours médiatique alternatif qui continue à placer la solidarité au cœur de notre engagement.
Propos recueillis par Daphnée Breytenbach
Avec l'aimable autorisation du CCFD-Terre Solidaire https://ccfd-terresolidaire.org/wafa-abdel-rahman-donner-une-voix-a-celles-qui-racontent-le-proche-orient/
Illustratrice : ©Yasmine Gateau
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