Laura Lemmel : Sensibiliser aux violences économiques en France et en Colombie
- Orbital
- 27 juin
- 5 min de lecture

Laura Lemmel est chargée de développement associatif au CCFD-Terre Solidaire Île-de-France. Depuis 3 ans, elle accompagne le réseau de bénévoles de la région et développe des actions de sensibilisation. C’est dans ce cadre qu’elle a participé à la création d’une exposition sur les discriminations et violences économiques envers les femmes, avec un partenaire colombien du CCFD-Terre Solidaire.
Aux origines de l’exposition “Corps en lutte contre les violences”, il y a d’abord la volonté des bénévoles d’Île-de-France, accompagnés par Laura, de travailler sur les violences patriarcales et de tisser des liens avec le partenaire Vamos Mujer, très engagé sur ce sujet en Colombie. Partenaire du CCFD-Terre Solidaire depuis plus de 20 ans, Vamos Mujer est une organisation féministe qui défend l’autonomie économique et politique des femmes en Colombie.
Les violences économiques, versant méconnu des violences patriarcales
Rapidement, le besoin de resserrer le sujet s’est fait sentir.
Nous nous sommes demandé quels messages nous souhaitions transmettre ? Sur quoi voulions-nous sensibiliser ? Sous quel angle aborder, et dénoncer, les violences sexistes et sexuelles (VSS) ? Pendant plusieurs mois, l’équipe de bénévoles a mené des recherches sur le sujet et nous avons eu de nombreux échanges avec notre partenaire en Colombie.
La thématique des violences et des discriminations économiques a fini par s’imposer. C’est un axe particulièrement travaillé par Vamos Mujer qui défend l’autonomie économique des femmes comme moyen de prévention et de lutte contre les violences patriarcales.
Les violences économiques sont particulièrement insidieuses. C’est souvent une des premières manifestations des violences conjugales. Pourtant, on n’en parle trop peu.
Un projet au long cours entre la France et la Colombie
Si le projet s’est achevé par une exposition photo, cette dernière était loin d’être l’unique temps fort. Ainsi, en août 2023, deux représentantes de Vamos Mujer se sont rendues à Sevran (93) pour un atelier de cuisine organisé par Laura et la Maison de Quartier Edmond-Michelet, et auquel ont participé des bénévoles et des femmes du quartier.
En effet, financé en partie par l’Observatoire international des violences envers les femmes du département de la Seine-Saint-Denis, le projet a aussi permis de soutenir le réseau de femmes “Ali-hadas” (jeu de mots entre “aliadas” qui veut dire “alliées” et “hadas” qui veut dire “fées”) animé par Vamos Mujer. Au sein des Ali-hadas, les femmes sont formées à la prévention, l’accompagnement des femmes victimes de violences, et la mise en œuvre d’actions politiques locales, le tout au sein d’un réseau d’entraide et de soutien entre paires.
Cet atelier était donc l’opportunité de croiser les regards entre les femmes de Seine-Saint-Denis et celles du département colombien d’Antoquia dans lequel intervient Vamos Mujer, un département majoritairement rural, mais dans lequel se trouve également la ville de Medellín (2 millions d’habitants).
L’atelier devait durer deux heures. Il a duré presque une journée entière, mêlant cuisine, mais aussi danse et discussions.
Cet atelier a permis d’apprendre à se connaitre et a créé un vrai cadre de confiance grâce auquel nous avons pu échanger autour des droits des femmes dans les deux territoires, entre la France et la Colombie.
Deux autres ateliers ont été organisés. Cette fois-ci en lien avec Juntanza feminista, un collectif féministe formé par des femmes colombiennes vivant en France. Ces ateliers ont permis de sensibiliser aux violences économiques et d’aboutir au travail photographique que l’on peut voir dans l’exposition.
Une exposition qui passe par le corps pour parler des violences économiques
Pendant les ateliers, les participantes ont rédigé des textes inspirés de leur vécu. Chacune d’entre elles a ensuite sélectionné une phrase qu’elle a apposée sur son corps, avant d’être photographiée par Mélanie Penaranda. La photographe d’origine colombienne, spécialisée dans le portrait, a participé aux ateliers et était là pour accompagner les participantes, les guider et leur donner des idées.
La partie du corps n’est pas choisie au hasard. Ce choix fait partie du message. Nous avions une volonté de tisser un lien avec le corps, car les violences économiques marquent aussi le corps. Il fallait donc qu’elles soient énoncées par le corps.
Des ateliers ont eu lieu sur le même modèle en Colombie avec des femmes en formation du réseau Alia-hadas. Ils ont aussi abouti à la prise de photos que l’on peut retrouver dans l’exposition.
L’exposition propose un regard croisé entre la Colombie et la France. Mais plus encore, elle crée des ponts entre les expériences des femmes dans ces deux pays, des expériences bien plus similaires qu’il n’y paraît. Pour les militantes de Vamos Mujer, c’est aussi une opportunité de renforcer leur plaidoyer pour la lutte contre les violences économiques en montrant qu’elles font partie d’un réseau plus large, au-delà des frontières colombiennes.
Les violences contre les femmes n’ont pas de frontières. Elles n’ont pas de frontières physiques, elles affectent toutes les femmes dans toutes les parties du monde et tous les domaines de leurs vies. De la même manière, nos résistances et nos luttes ne devraient pas en avoir non plus. Cristina Ríos Rodas, Directrice de l’organisation Corporación Vamos Mujer, en Colombie
Une exposition qui va continuer à vivre
Pour Laura qui organisait pour la première fois une exposition, l’expérience a été forte. Une photo l’a particulièrement marquée, celle du ventre d’une femme qui a les mains dans les poches et le pantalon assez bas :
La participante prend volontairement une posture socialement réservée aux hommes. Sur son ventre, on lit la phrase “Pour elle, la dépossession. Pour lui l’épanouissement”. C’est une photo qui déclenche beaucoup de discussions. Beaucoup de spectateurs sont surpris de voir un ventre et demandent si elle est enceinte, alors que ce n’est pas le sujet de la photo.
Après une première exposition en février à la Maison étudiante dans le 6e arrondissement de Paris, puis en mars dans à la médiathèque Aimée Césaire à La Courneuve (93), l’exposition va continuer sa route tout au long de l’année 2025. Incluant un guide d’accompagnement, elle est mise à disposition du réseau de bénévoles du CCFD-Terre Solidaire pour qu’ils puissent la reproduire et organiser des événements partout en France. Pour continuer de mettre en lumière les violences économiques de genre et la nécessité de les combattre, ici et là-bas.
Exposition photo https://ccfd-terresolidaire.org/laura-lemmel-sensibiliser-aux-violences-economiques-en-france-et-en-colombie/
Les violences économiques, c’est quoi ?
Les violences économiques consistent à priver ou tenter de priver une personne de son indépendance financière, par exemple en l’empêchant de travailler, en contrôlant ses revenus ou ses dépenses. Cette forme de violence reste peu évoquée en France où il n’existe pas de législation nationale sur le sujet, bien que la France ait ratifié la Convention d’Istanbul qui intègre la violence économique dans la définition des violences conjugales. C’est différent en Colombie où une loi a été adoptée en 2004. Cette loi prévoit des mesures réparatrices pour les victimes, mais très peu de cas aboutissent à ces réparations. Pour Vamos Mujer, s’il est urgent que cette loi soit mieux appliquée, il est également nécessaire d’élargir la définition des violences économiques au-delà de la sphère conjugale pour prendre en compte les violences économiques liées aux conflits environnementaux, à l’exclusion et au manque de reconnaissance de la participation des femmes à l’économie dans les territoires. En savoir plus sur les violences économiques et leur définition.
La lutte contre le patriarcat, un axe de travail du CCFD-Terre Solidaire.
La lutte contre le patriarcat est l’une des priorités énoncées dans le dernier rapport d’orientation de l’association. Le CCFD-Terre Solidaire identifie le patriarcat comme un problème systémique, présent dans les différentes sociétés, producteur de rapports de domination, de discriminations multiples, d’inégalités et de violences de tout type. Le CCFD-Terre Solidaire reconnaît le patriarcat comme une des causes structurelles de la faim. On note que 60% des personnes les plus pauvres dans le monde sont des femmes et que les manifestations du patriarcat représentent un frein au développement et au vivre ensemble dans une société (surreprésentation des métiers du “care” moins rémunérés, exclusion des femmes des processus décisionnels, difficultés d’accès à la propriété des terre etc).
Avec l'aimable autorisation du CCFD-Terre Solidaire https://ccfd-terresolidaire.org/laura-lemmel-sensibiliser-aux-violences-economiques-en-france-et-en-colombie/
Illustration ©Yasmine Gateau
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