Cristiane Katzer : Défendre l’agroécologie et la solidarité paysanne
- Orbital
- 27 juin
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Cristiane Katzer est la directrice exécutive d’Assesoar, partenaire du CCFD-Terre Solidaire, qui promeut l’agroécologie au Brésil. Une évidence pour cette trentenaire profondément attachée au monde rural.
Elle tient un livre dans les mains qui montre une photo où sont alignés une vingtaine d’hommes, de femmes et d’enfants surplombant un vallon. « Là, ce sont mes parents et la petite fille en bas à droite avec l’air timide, c’est moi, sourit-elle. Le livre* a été publié en 2000, mais la photo a été prise un ou deux ans plus tôt. Je m’en souviens, j’avais six ans. Le matin même, j’avais perdu une incisive et j’avais honte de devoir apparaître sur la photo. »
Un quart de siècle plus tard, Cristiane Katzer aime prendre le temps de feuilleter l’ouvrage qui aborde la genèse de l’Association d’études, d’orientation et d’assistance rurale (Assesoar). « C’est une partie de mon histoire et de mes racines qui est racontée dans ce bouquin », explique cette femme au regard bleu pétillant, directrice exécutive depuis trois ans d’un partenaire emblématique du CCFD-Terre Solidaire, fer de lance de la lutte pour le développement de l’agroécologie au Brésil.
Un lien viscéral à la terre
Cristiane Katzer revendique son lien viscéral à la terre. Enfant, après l’école, elle aidait ses parents dans la petite exploitation à Flor da Serra do Sul, un village situé dans l’État du Paraná, au sud-est du Brésil, à une trentaine de kilomètres de la frontière avec l’Argentine.
Ce que j’aimais le plus c’était de m’occuper des quelques vaches laitières que nous avions.
Autre plaisir de la gamine « timide mais pleine d’énergie », jouer pendant des heures au football avec les enfants des voisins. Un sport dans lequel elle se révèle talentueuse, au point d’envisager un temps d’en faire un métier. Mais qui témoigne surtout de son goût pour le collectif, le dépassement de soi, le sens des responsabilités et l’enracinement dans un monde rural qu’elle voit très vite « comme quelque chose de bien plus grand que, simplement, un lieu où planter et récolter. C’est un espace de vie, de culture, d’échanges, de lutte et de conquête de la dignité ». Pourtant, à 17 ans, elle décide d’aller vivre en ville.
Solidarité paysanne
J’avais déjà envie de découvrir une autre réalité. Mais le choix de mon père de planter du tabac m’a convaincue de partir.
Opposée à la culture d’un produit qu’elle juge mauvais pour la santé, Cristiane s’installe avec son frère à peine plus âgé à Marmeleiro, une petite ville à quelques dizaines de kilomètres de la ferme familiale. Elle y enchaîne les petits boulots. Femme de ménage, nounou, caissière dans une boucherie. Elle est même ouvrière dans une usine fabriquant des marmites en aluminium. « Mon frère et moi étions surnommés “blanc et noir” quand on se rejoignait après le travail, se souvient Cristiane. Lui parce qu’il bossait chez un meunier et moi à l’usine d’aluminium. »
De cette période, la jeune femme conserve une prise de conscience politique : « J’ai réalisé ce qu’était le néolibéralisme qui exploite et divise le monde ouvrier, et la prison que pouvait être le salariat. » L’occasion pour la jeune fille de comprendre « à quel point il est important de voir le fruit de ses efforts sortir de la terre et combien la solidarité entre paysans me manquait ».
Après deux années d’une vie urbaine plutôt décevante, Cristiane suit son frère, qui vient de trouver un emploi dans une coopérative laitière, à Salgado Filho, une bourgade à 15 km de la maison parentale. Elle en profite pour s’inscrire en faculté de géographie.
Avec le sport, l’histoire et la géographie sont toujours mes matières préférées, car elles permettent de comprendre le monde, la politique, l’agriculture et l’environnement.
Côté boulot, elle fait d’abord des ménages dans le syndicat rural local avant d’en devenir la secrétaire. « C’était comme un retour aux sources. »
Le destin s’accélère, car « au bout d’un an, mon frère m’a annoncé qu’il voulait se marier. Dans le même temps, mon père, qui avait arrêté la production de tabac pour se consacrer à l’agroforesterie, m’a invitée à revenir vivre à la ferme ».
Cristiane accepte, et jongle dès lors entre les champs, le syndicat rural et la faculté. « C’est à ce moment que mon père, l’un des membres fondateurs d’Assesoar, m’a proposé d’intégrer l’association. »
Cristiane s’y sent tout de suite à l’aise. Elle prend part aux réunions qui élaborent les axes de lutte pour le développement de l’agroécologie dans une région marquée par l’avancée des monocultures de soja et de maïs transgéniques. « Je n’ai pas rejoint Assesoar pour y participer activement, assure-t-elle. J’aime endosser des responsabilités, mais je ne cherche pas le pouvoir. »
Mais son investissement et sa détermination à se battre pour un modèle agricole vertueux la propulsent naturellement vers les instances dirigeantes. En 2022, elle est élue directrice exécutive d’Assesoar. Un mandat qu’elle partage avec les deux autres candidats pour une gestion collégiale. Et sans jamais oublier l’essentiel :
Je suis avant tout une agricultrice qui, “en ce moment”, assume la direction d’une organisation qui regroupe 180 membres.
Famille
L’aventure n’est pas de tout repos. Surtout pour une femme, jeune de surcroît. « On vit dans une société machiste, et c’est encore plus vrai dans le monde rural. Lorsque j’ai été élue, on ne peut pas dire que tout le monde pensait que c’était la meilleure chose pour Assesoar ! », souffle-t-elle.
« J’ai même essuyé les réflexions d’un membre de l’association qui doutait de mes compétences et de ma disponibilité. » Cristiane y a répondu avec un calme et une détermination qui séduisent.
« Je ne suis absolument pas surpris de la voir remplir son mandat avec succès, explique Antonio, le père. Cristiane s’est toujours impliquée, en étant à l’écoute de l’autre, et elle est digne de confiance. » Un papa fier, mais qui regrette malgré tout que « les conversations à la maison sur le fonctionnement et les missions d’Assesoar soient plus rares depuis que ma fille en est la présidente ».
Le mandat de Cristiane s’achèvera d’ici à quelques semaines.
L’expérience est très enrichissante, mais elle demande beaucoup d’énergie. Car Assesoar est un acteur important dans le monde rural. L’association a une histoire, un combat, des liens avec d’autres organisations sociales, et elle s’implique toujours plus dans l’élaboration et la proposition de politiques publiques favorables au développement de l’agroécologie.
Autant de tâches chronophages et épuisantes. D’ailleurs, Cristiane a prévu qu’elle ne bougera pas de la ferme la première semaine suivant la fin de son mandat. « Je vais m’occuper seulement des animaux et me reposer. Je pense que j’irai jouer un match de foot avec des amies, boire une bière et aller faire un karaoké. »
Et après ? « Peut-être que je vais enseigner la géographie, tout en continuant à prendre soin des bêtes. » Et Assesoar ? « Je suis membre d’Assesoar et le resterai. C’est ma famille », sourit-elle en regardant à nouveau la couverture du livre qu’elle a toujours dans les mains.
*Organisation, connaissance et qualité de vie. Possibilités de l’agriculture familiale
Texte : Jean-Claude Gerez
avec l'aimable autorisation du CCFD-Terre Solidaire
Illustratrice : © Yasmine Gateau
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