Ana Enamorado : Retrouver les disparus sur les routes de l’exil
- Orbital
- 27 juin
- 4 min de lecture

Ana Enamorado est hondurienne. Le 19 janvier 2010, son fils Oscar a disparu au Mexique alors qu’il tentait de rejoindre les Etats-Unis. Depuis, Ana n’a pas arrêté de le chercher. Il y a 3 ans, elle a fondé la Red regional de familias migrantes (Rerefami), alliée du CCFD-Terre Solidaire, pour aider d’autres familles dans la quête de leurs proches disparus.
Ana Enamorado est une combattante. Lorsqu’en 2010 son fils Oscar disparaît en chemin pour les États-Unis, elle part seule à sa recherche. Elle doit alors affronter de nombreux obstacles : le manque d’information, l’inaction des autorités, les difficultés à obtenir un visa, l’insécurité… Elle poursuit ses recherches au Mexique, un pays où, comme Oscar, plus de 110 000 personnes sont déclarées disparues.
Un réseau pour aider les familles à retrouver leurs proches disparus
Il y a 3 ans, elle fonde la Red regional de familias migrantes (Rerefami). Toutes ces années à chercher Oscar lui ont permis d’engranger suffisamment de connaissances et d’expertise pour aider d’autres familles à retrouver leurs proches. Grâce à elle, plusieurs cas ont pu être résolus.
La Rerefami réunit 18 familles réparties dans plusieurs pays d’Amérique centrale et accompagnées par trois experts : une anthropologue, un psychologue et Ana. Elle met en place des espaces de dialogue pour que les familles puissent parler aux autorités mexicaines à distance.
Nous travaillons à distance, les familles sont dans leur pays d’origine et nous travaillons à travers un écran pour pouvoir faire des recherches et pour forcer les autorités mexicaines et celles de nos pays respectifs à nous écouter.
Le réseau a poussé l’État mexicain à reconnaître les familles comme victimes d’un délit commis sur son territoire et à leur apporter un soutien psychologique si elles le souhaitent.
De plus, Rerefami a obtenu du Mexique la création d’une carte de séjour pour raisons humanitaires. D’une durée de six mois et renouvelable chaque année, cette carte permet aux familles des disparus d’entrer sur le territoire mexicain pour apporter des informations aux enquêteurs et mener leurs propres recherches.
Jusqu’alors, les familles centraméricaines ne pouvaient entrer qu’avec un visa, un sésame inaccessible sans grands moyens financiers.
C’est cette même difficulté à obtenir un visa mexicain qui contraint les personnes migrantes à emprunter des routes toujours plus dangereuses pour se rendre aux États-Unis.
Pour Rerefami, il s’agit d’obliger l’État à respecter le droit des familles à chercher leurs proches, mais aussi à respecter celui de la personne disparue à être recherchée.
Au Mexique, il y a une très forte répression des migrants, ces personnes qui quittent l’Amérique centrale à cause de l’énorme précarité qui existe dans nos pays d’origine, à cause des extorsions et des assassinats des groupes criminels. Le Mexique et les pays d’Amérique centrale veulent une “migration sûre et ordonnée”, mais ils doivent commencer par lutter contre cette violence et cette pauvreté.
“Somos mujeres las que buscamos”, ce sont nous les femmes qui cherchons
Ana n’est plus étonnée de voir essentiellement des femmes rechercher leurs proches. Elle s’est elle-même séparée du père de son fils pour « entreprendre des recherches par [elle-même] et ne pas être entravée dans la recherche d’Oscar”.
Cette surreprésentation des femmes, et notamment des mères, fait écho à des combats plus anciens, comme celui des “Mères de la Place de Mai”. Depuis 1977, en Argentine, ces femmes se réunissent chaque jeudi devant le palais présidentiel à Buenos Aires pour exiger des informations sur leurs enfants ou leurs petits-enfants enlevés pendant la dictature militaire.
Ana cite également le cas de la Caravane des mères centraméricaines (Caravana de madres centroamericanas), des mères parties de toute l’Amérique centrale qui se réunissent et marchent ensemble jusqu’au Mexique pour retrouver leurs enfants disparus sur la route vers les États-Unis et sensibiliser à cette cause.
Ce n’est que l’amour pour nos enfants et la douleur qui nous ont forcées à nous défaire de notre peur et à faire face à toute la violence dont nous souffrons également, parce que nous sommes des femmes, des migrantes et que nous arrivons dans un autre pays pour chercher notre être cher, le pays où a disparu cet être cher.
Une visite en Europe à la rencontre d’autres familles de disparus
Il y a deux ans, la Rerefami est devenu alliée du CCFD-Terre Solidaire. C’est dans ce cadre qu’en janvier 2025, Ana s’est rendue en Europe. Elle a pris la parole lors du premier Congrès mondial sur les disparitions forcées, organisé à Genève par les Nations Unis. Elle y a raconté son combat pour retrouver son fils et pour défendre le droit des familles à connaître la vérité.
Pendant son voyage, elle s’est également rendue à Calais avec le CCFD-Terre Solidaire. Elle y a rencontré d’autres familles et d’autres collectifs qui luttent pour le droit des personnes exilées. Ils et elles ont pu partager leurs expériences, mais aussi créer des liens pour amplifier cette lutte à l’échelle internationale.
Là-bas, ils disparaissent en traversant la mer. C’est encore plus difficile pour les mères. Comment chercher dans la mer ? Comment chercher dans l’eau ?
Ana relève un autre obstacle, celui de la barrière de la langue : “Comment font les mères de Tunisie, d’Algérie et d’autres pays pour mener leurs recherches en France, en Allemagne ?”
Et Ana de conclure : “Mais rien n’est impossible. Nous devons trouver un moyen pour ces familles d’entrer sur les terres européennes, de rechercher leurs proches, car c’est leur droit. Elles ont le droit de chercher leurs enfants.”
15 ans après sa disparition, Oscar reste introuvable. Mais Ana n’est plus seule dans son combat. Par sa persévérance et sa force, elle fait résonner la voix de milliers de familles à la recherche d’un proche, en Amérique centrale et bien au-delà.
Un peu de contexte :
Situé entre le Guatemala, le Salvador et le Nicaragua, le Honduras est un pays d’Amérique centrale confronté à de graves problèmes d’insécurité, notamment liés aux maras, des gangs criminels implantés dans cette zone géographique. Ce pays a l’un des taux d’homicides volontaires les plus élevés au monde. En parallèle, 77% de la population vit dans la pauvreté selon l’ONU. Ces difficultés poussent des milliers d’Honduriens et d’Honduriennes à l’exil. Sur une population de 10 millions d’habitants, on estime que 10% vivent à l’étranger, principalement aux États-Unis (environ 800 000 personnes) et en Espagne (environ 100 000).
Illustration : ©Yasmine Gateau
Avec l'aimable autorisation du CCFD Terre solidaire https://ccfd-terresolidaire.org/ana-enamorado-retrouver-les-disparus-sur-les-routes-de-lexil/
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